MILAGRO

© Crédit Photo Christine Valois

Accompagné de sa mère, Americo rejoint son oncle et sa tante dans les Caraïbes où, à bord du voilier l’Odyssée, ils étudient les baleines à bosse pendant leur migration. Le jeune garçon espère aussi échapper ainsi aux tentacules du dangereux Dylan, dont le retour à Tadoussac risque de lui empoisonner l’existence. Au cours de ce fabuleux voyage, Americo développera un lien bien spécial avec Milagro, un jeune rorqual à bosse qui lui fera vivre de formidables péripéties. Il se rendra aussi vite compte que, si la vie sur la mer est merveilleuse, elle peut aussi être pleine de dangers, mais que la pire menace ne vient pas de l’océan.

Ce roman est utilisé dans le cadre d'une trousse pédagogique Les vedettes du Saint-Laurent.


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Extrait

Une étoile est née

Après des jours et des nuits de navigation, l’Odyssée arrive enfin dans la baie de Samana. En entrant dans cette magnifique oasis d’eau turquoise, Liliane s’exclame joyeusement :

  • Nous voilà dans la pouponnière des rorquals à bosse du Québec ! C’est ici que les baleines viennent donner naissance à leurs petits.
  • Et c’est les mêmes baleines que chez nous ? demande Americo.
  • Oui. Tu vois, chez les baleines, la gestation dure environ 12 mois. Alors, elles viennent ici pour s’accoupler, puis, après la fécondation, elles retournent dans le fleuve et son estuaire pour prendre des forces en mangeant des milliers de tonnes de krill. Pendant ce temps-là, les bébés grandissent dans l’utérus de leur mère. Ensuite, les baleines redescendent vers le sud où les femelles mettent bas et allaitent leurs petits. C’est pour cette raison que Laurent a voulu venir ici. Il connait bien les comportements des baleines quand elles sont dans le nord et, maintenant, il veut les étudier quand elles sont dans le sud.
  • Il me semble que c’est pas mal loin de chez nous, s’étonne Americo. Ça ne serait pas plus simple pour elles de rester dans l’estuaire du Saint-Laurent ?
  • C’est vrai qu’elles ont pas mal de route à faire, pas loin de 5000 kilomètres, mais elles ont de bonnes raisons de venir ici pour se reproduire et mettre bas. Pour commencer, les eaux des Caraïbes sont limpides, ce qui aide les baleines à garder un œil sur leurs petits, à se retrouver et à se protéger. En plus, la chaleur de l’eau aide le bébé à prendre du poids et des forces avant d’entreprendre avec sa mère la longue migration vers les eaux froides débordantes de nourriture.

Americo regarde l’océan autour de lui et trouve que tout est bien calme :

  • En tout cas, je ne sais pas où se cachent nos baleines du Québec, mais c’est vrai que cette baie est immense. Elles pourraient être n’importe où.
  • Un peu de patience, mon neveu. Je suis certaine qu’on va finir par en croiser une ou deux, le rassure Liliane. Parce qu’en plus, il n’y a pas que nos baleines qui viennent ici, tu sais. Il y a aussi celles du golfe du Maine et quelques troupeaux du Groenland et de l’Islande. Il s’agit d’ouvrir l’œil.

Après un moment à essayer en vain d’apercevoir des baleines, chacun retourne à ses occupations habituelles. Pour s’avancer un peu en sciences, Americo, bien installé dans le cockpit, entreprend d’étudier la classification des animaux. Il est bien content de pouvoir enfin comprendre pourquoi les baleines ne sont pas des poissons, mais des mammifères. En regardant le tableau des vertébrés, il peut confirmer que les cétacés possèdent toutes les caractéristiques de la classe des mammifères puisqu’ils ont du poil, des poumons, des mamelles et le sang chaud. En plus, ils sont vivipares. Americo découvre aussi, en faisant sa recherche, que l’ancêtre de la baleine était un animal terrestre à quatre pattes dont les membres sont devenus des nageoires au fil de l’évolution. Le garçon est fasciné depuis longtemps par les baleines et constate qu’elles n’ont pas fini de le surprendre.

Alors qu’il a le nez dans son portable, Americo entend des souffles de baleines. Il crie pour prévenir les autres :

  • Hé ! Venez voir, vite ! Il y a des baleines tout près de nous.

Une fois sorti du cockpit, il voit, il entend et, surtout, il sent, tout près du bateau, les souffles répétés d’une baleine. Au départ, il pensait qu’une baleine passait tout simplement près du voilier, mais maintenant qu’il est sur le pont, il voit bien que le cétacé se tient immobile à quelques mètres à peine de l’Odyssée.

  • Mais qu’est-ce qu’elle fait ? Pourquoi elle reste comme ça ? demande Americo.

Liliane, qui vient de le rejoindre, hésite un peu, puis elle émet une hypothèse :

  • Je suis loin d’être certaine de ce que j’avance, Americo, mais j’ai l’impression qu’on va peut-être assister à une naissance. En tout cas, à voir l’énorme ventre de cette baleine, on pourrait le croire. Qu’est-ce que tu en penses, Laurent ?
  • Je pense que tu as raison. En tout cas, il faut préparer le drone et la caméra. Si une baleine met bas juste devant nous, je veux être certain de tout filmer !

Pendant qu’Eva et Liliane vont récupérer les appareils, une autre baleine s’approche de la première. Les deux mammifères sont maintenant côte à côte. Le nouvel arrivé s’apprête à plonger. Il arque le dos, souffle un bon coup et se laisse doucement glisser dans l’eau. À la fin de cette lente plongée, Laurent peut enfin voir une large queue ornée de grandes taches blanches rappelant les yeux des chats siamois. Fou de joie, il s’exclame :

  • C’est Siam !

Americo se souvient que Siam était connu pour nager souvent aux côtés de Tic-Tac-Toe une magnifique femelle pleine d’entrain.

  • Penses-tu, Laurent, que la baleine au gros ventre, c’est Tic-Tac-Toe ?
  • Je ne pourrai pas te le dire avec certitude tant que je n’aurai pas vu les patrons de coloration de sa queue, répond Laurent. Mais il y a de grandes chances que ce soit elle. On sait que c’est avec Siam que Tic-Tac-Toe se reproduit. On a déjà pu identifier quatre bébés qu’ils ont eus ensemble.

Dès que Liliane et Eva remontent sur le pont, Laurent donne ses directives :

  • Liliane, active le drone. Tu vas filmer des airs. Eva et Americo, vous, enfilez vos habits de plongée. Et n’oublie pas la caméra sous-marine, Eva. Je veux que tu filmes tout ce que tu peux. Normalement, le baleineau présentera sa queue en premier mais, aussitôt qu’il sera complètement sorti, il va avoir besoin de respirer. Sa mère va devoir le porter sur sa tête jusqu’à la surface pour qu’il puisse prendre sa première bouffée d’air à travers ses évents . Prépare-toi à les suivre.

Tous s’exécutent aussitôt. Dans les airs, comme sous la mer, les prises de vue promettent d’être mémorables. Électrisé, Americo est le plus rapide. Plouf ! Il est déjà à l’eau et nage rapidement vers les baleines. Laurent tient le drone au bout de ses bras, les hélices tournant déjà. Liliane s’empare de la télécommande pour le faire voler en direction des cétacés.

Americo a déjà vu des baleines de près, assez pour sentir leur souffle. Mais c’est la première fois qu’il s’en approche autant sous l’eau. À Tadoussac, ce n’est pas possible de plonger pour voir des baleines, l’eau est trop froide pour nager en apnée et il n’est pas permis de s’approcher d’elles. Il est très ému. Avec sa mère, ils sont tout près de la nageoire caudale de la femelle et peuvent y distinguer le X qui lui a valu son nom. C’est bien Tic-Tac-Toe et elle est plus grosse que jamais. Siam est à ses côtés et, comme s’il la réconfortait, il lui chante des sérénades tellement douces que les plongeurs ont les larmes aux yeux sous leur masque.

Soudain, Tic-Tac-Toe écarquille les yeux et tout son corps est secoué d’un immense soubresaut. À la base de son ventre, Americo et Eva voient apparaitre une petite queue de baleineau qui bouge déjà. Les prédictions de Liliane et Laurent étaient exactes. Tic-Tac-Toc avait une bonne raison d’être aussi incroyablement grosse. Après tout, porter un bébé d’une tonne, ce n’est pas rien! Tic-Tac-Toe reprend son souffle lentement. Sur le pont de l’Odyssée, Liliane et Laurent ne ratent rien de ce qui se passe, grâce aux images transmises par la caméra sous-marine et par le drone.

  • Elles sont vraiment endurantes, les femelles baleines, remarque Liliane. Même si elles doivent porter, mettre bas et s’occuper de leurs petits, elles n’ont rien à manger dans les mers chaudes. Elles sont incroyables !
  • Oui, elles sont fortes et courageuses, ces mamans baleines, de faire tout ça l’estomac vide. Mais leurs bébés, eux, ne manquent pas de nourriture puisqu’ils se gavent du riche lait de leur mère. Tu sais que ce lait très riche en gras leur fait prendre jusqu’à 45 kilogrammes par jour ?

Sous l’eau, Americo et sa mère sont captivés par le spectacle. Ils en oublient presque de remonter à la surface pour prendre une bouffée d’air de temps en temps. Tout à coup, Tic-Tac-Toe pousse un cri de douleur et la moitié du corps du bébé sort de son ventre. Siam s’approche du baleineau et entonne de douces mélodies. On dirait qu’il cherche à réconforter Tic-Tac-Toe. L’océan lui-même semble retenir son souffle. Tout est calme et seuls les lents mouvements de Tic-Tac-Toe font des ondulations à la surface de l’eau.

Bien qu’il soit captivé par le spectacle qui se déroule sous ses yeux, Laurent reste aux aguets et garde un œil sur les alentours. C’est un capitaine émérite et il sait que, sur la mer, tout peut arriver ; surtout quand, comme c’est le cas dans cette baie, plusieurs bateaux d’excursions, voiliers et yachts bruyants sont à proximité. Même si la navigation dans le parc marin est réglementée et que les bateaux à moteur doivent circuler à basse vitesse et rester au moins à 400 mètres des mammifères marins, il y a toujours des gens qui n’hésitent pas à défier les lois.

Après un dernier effort de Tic-Tac-Toe, le bébé sort complètement du corps de sa mère. Laurent est captivé par les images de ce merveilleux moment et il ne voit pas qu’un bateau vedette fonce à toute allure sur Tic-Tac-Toe qui vient de poser son baleineau sur sa tête pour le porter jusqu’à la surface. Le bateau frôle le bébé créant une énorme vague qui l’éloigne de sa mère. Pendant un moment, les eaux sont brouillées et tout le monde perd le bébé de vue. Tic-Tac-Toe et Siam sont affolés et nagent dans tous les sens, mais leur vision est trop faible pour leur permettre de trouver eux-mêmes leur rejeton. Americo et Eva aussi essaient de repérer le petit. C’est une question de vie ou de mort. Si le baleineau ne respire pas dans les prochaines secondes, il mourra noyé. Pris d’une inspiration soudaine, Americo se précipite vers le tourbillon causé par la vedette et aperçoit enfin la queue immaculée du baleineau. Il enlève son tuba et crie à tue-tête dans l’espoir que les baleines le repèrent. C’est Tic-Tac-Toe qui arrive la première. Voyant son petit rouler dans la vague, elle se place sous lui, le soulève avec délicatesse et le remonte à la surface. Mais rien ne se passe. Le baleineau est trop abasourdi et faible pour réagir. Siam pousse un hurlement et ce cri semble réveiller le petit qui ouvre enfin ses deux évents pour aspirer l’air pur. Ça y est ! Il est sauvé!

Eva et Americo s’étreignent, tandis que les baleines nagent joyeusement à l’unisson.

Maintenant que le bébé est hors de danger, Americo et les siens profitent de la scène offerte par la famille de baleines. Comme pour les remercier, Siam leur en donne plein la vue. Sauts, chants et tapes de nageoires pectorales sur l’eau créent un spectacle époustouflant et majestueux. Tic-Tac-Toe, à son tour, sort la tête de l’eau et dirige son regard vers l’équipage de l’Odyssée. Même le petit baleineau tente maladroitement d’exécuter des acrobaties en tournant autour d’Americo et d’Eva qui peuvent ainsi bien voir sa queue et les ailes d’un ange qui s’y dessinent. « Il devrait s’appeler Milagro », pense Americo, parce que ça veut dire miracle en espagnol.

Après ces moments chargés d’émotions, la famille de Milagro se retire doucement, comme si maman baleine voulait plus d’intimité pour nourrir son rejeton. Milagro suit sa mère, collé contre elle, et Siam ferme le cortège. Americo et les siens les regardent partir encore ébahis par les scènes spectaculaires qu’ils viennent de voir. Ils aimeraient rester plus longtemps, mais c’est maintenant l’heure pour l’Odyssée de rentrer à la marina de Samana.

Une fois réunis sur le voilier, ils continuent de se remémorer ce qu’ils viennent de vivre.

  • Vous savez, même s’ils sont énormes, la maman et le bébé chuchotent pour communiquer sans être repérés, explique Laurent.
  • Elles sont si tendres, ces grosses bêtes, ajoute Eva.

Le soir, Americo observe le ciel à la recherche de son astre. Quand il le trouve, il lui raconte les événements de la journée. À la fin de son récit, plein d’émotions, il dit :

  • Tu serais si fier de moi, mon beau papa adoré.

À ces mots, sa gorge se noue dans une sorte de mélange de joie et de tristesse et une larme coule sur sa joue.

  • Quand j’ai vu la queue du baleineau, avec ses ailes d’ange dessinées dessus, j’ai décidé qu’il s’appellerait Milagro parce que c’est un miracle s’il a survécu et que c’est surement grâce à son ange gardien. Papa, je te fais la promesse que vais toujours prendre soin de lui. Moi aussi, je serai son ange gardien. Et il sera mon petit protégé.

En réfléchissant bien à ce qu’il vient de dire, il sourit : « Un petit protégé qui pèse quand même une tonne de plus que moi! »